Notre société se caractérise par une qualité primordiale…la vitesse. La croissance économique, enjeu de développement de nos modèles de civilisations, est elle-même une accélération perpétuelle. En effet, tout va plus vite chaque jour, qu’il s’agisse de production, de traitement des données, des déplacements ou encore de l’accès à l’information.
Mais cette vitesse, si elle nous permet d’abolir les distances, les frontières et de donner, par exemple, nos cours en direct auprès d’un grand nombre de gens, n’est-elle pas devenue un facteur dont nous pourrions être les premières victimes ?
Car, le « fitness addict » ne fait pas exception à ce rythme effréné et lui aussi veut aller vite. Non seulement en matière de résultats, mais également de temps passé à la salle, et du temps de transport pour y accéder. Bref, entre la vie de famille, le boulot et les corps parfaits que lui « livrent » les réseaux sociaux…il lui faut tout et tout de suite !
Ce sont donc des élèves de plus en plus pressés dans leur attente de perte de poids ou de muscles tout neufs, qui se précipiteront vers les méthodes les plus prometteuses mais parfois les plus illusoires…
4 critères s’offrent aux plus impatients : la brièveté des séances, leur fréquence, la nature de leur contenu et l’hypothétique fulgurance des résultats.
Concernant le format des entraînements, je disais dans « Pour un fitness éthique » : « Là où le CrossFit et les méthodes à haute intensité, proposent une certaine brièveté du plaisir afin de lui redonner du sens. Les plateformes vibrantes et autres appareils électro-stimulant vous suggèrent des séances courtes afin de vous débarrasser d’une supposée corvée…ce n’est pas du tout la même chose. »
En effet, considérer la courte durée des séances comme un argument de choix, c’est prendre l’activité physique comme une mauvaise soupe ou un médicament et, ainsi, nous laisser du temps pour des activités a priori plus « essentiels ». Pour les passionnés que nous sommes c’est un postulat qui semble bien étrange, nous qui aimerions parfois prolonger nos séances plus que de raison…
Cependant, nous le savons, raccourcir ses entrainements afin de progresser est souvent nécessaire, car comme le sirop de fraise se dilue dans l’eau, l’intensité se dilue dans le temps. C’est donc tout l’enjeu d’un entraînement physique rationnel d’instaurer une proportionnalité entre l’intensité de l’effort, la durée de la séance et les périodes de récupérations.
Mais le succès de ces programmes courts, qu’ils soient pertinents ou non, ont un facteur commun qui consiste à inclure l’activité physique dans un espace-temps strictement circonscrit, comme si nous pouvions segmenter nos vies. Pourtant, le fitness ne peut pas se limiter à la salle, puisqu’il nous poursuit dans nos assiettes, notre sommeil et donc dans la construction d’un rythme de vie conforme à nos besoins biologiques. La « remise en forme » se diffuse plus qu’elle ne s’imbrique.
Les contenus eux-mêmes sont devenus une course contre la montre. Principalement sur les entraînements HIT bien entendu, dans lesquels le facteur temps est omniprésent. Mais également, et c’est beaucoup plus surprenant, dans les activités dites douces telles que le Pilates et le yoga qu’on à transformé en « flow », c’est-à-dire en une suite de mouvements ininterrompus. En supprimant ainsi les pauses, le nombre de postures ou d’exercices augmentera pour transformer un cours « en pleine conscience » en une pratique bien ordinaire, soumise, elle aussi, à une forme de rentabilité.
Mais la promotion de la vitesse « à tous crins » s’inscrit non seulement dans la durée des entraînements, leur contenu, mais principalement dans l’immédiateté des résultats. Et comme nous le dit la pub : « Avec C…. J’…, j’ai perdu 10 kilos en 3 semaines ! ».
Car plus personne ne veut attendre ! Nous sommes comme ces petits enfants capricieux qui veulent tout et tout de suite. À cet égard, je pense que l’accessibilité immédiate à la consommation et aux plaisirs, nous a sans doute éloigné de la patience de l’apprentissage. Il fut un temps où il y avait des référents qui promouvaient avec ferveur le travail bien fait. L’ouvrier remettait « cent fois son ouvrage sur le métier », améliorant ainsi la précision et la qualité de ses gestes. L’accès à l’excellence a, la plupart du temps, été remplacé par la mécanisation, la robotique ou le travail vite fait et moins cher…dans tous les cas par des biais économes de temps. C’est l’accessibilité de tous à ce qui était, alors, réservé à quelques-uns, au détriment d’un savoir-faire devenu marginal.
La sacro-sainte vitesse a fini par renvoyer aux oubliettes l’athlète, discret et besogneux, artisan de sa propre santé. Aux 3 mois d’éducation de l’arraché ou de l’épaulé au bâton, on préférera les barres lourdes et les corps parfaits (et/ou stéroïdés) exposés sur Instagram. Et ces performances, il faut pouvoir les atteindre le plus rapidement possible, afin de les montrer à tous, tous les jours, toute l’année, quitte à y sacrifier sa santé.
Mais alors dans ce cas, que deviennent les années d’apprentissage dans l’ombre, les moments de difficultés et de doutes et notre propre expertise de coach s’ils ne sont qu’un pensum à accepter avant de briller ? Nos athlètes ne risquent-ils pas de bruler toutes ces étapes et donc de se priver de bases solides ? D’ailleurs, lorsque nous essayons de les aider et de le modérer en salle, nous pouvons vite passer pour des gens rébarbatifs et ennuyeux.
Je crois, pourtant, beaucoup plus à la force du travail qu’à l’exposition des talents. Les performances, parfois très éphémères, sont le fait de quelques-uns, modèles d’une société en entonnoir qui implique beaucoup de pratiquants mais qui verra peu d’élus réussir au plus haut niveau.
C’est toute la philosophie d’un fitness éthique de promouvoir les comportements et les habitudes de vie hygiéniste s’inscrivant sur le long terme. La volonté d’aller s’entraîner, 3 ou 4 fois par semaine, quelles que soient les circonstances de nos vies, est une résolution accessible à tous qui soulève mon admiration. Paradoxalement, si chacun d’entre nous, sans exception, peut revêtir ces valeurs, ils sont nombreux à s’inscrire dans un processus court tenant plus d’une lubie que d’un engagement véritable. Pourtant, une pratique durable et épanouissante ne suppose pas d’augmenter sa vitesse, mais plutôt de respecter sa véritable nature.