Pendant la période de confinement, le temps ne m’a pas manqué pour lire ou regarder des films et des documentaires. J’ai donc eu l’occasion de voir Planet of the humans, réalisé par Jeff Gibbs, et produit par Michael Moore, lui-même documentariste reconnu.
Ce film, assez imparfait à bien des égards, a néanmoins le mérite de faire le constat suivant : toutes les bonnes volontés de produire des énergies « propres » afin de couvrir nos besoins actuels ne pourront jamais suffire à enrayer les catastrophes environnementales annoncées. En effet, d’une part, il y est stigmatisé le double jeu de certains leaders écologistes qui, s’ils dénoncent avec véhémence les énergies fossiles, promeuvent le solaire, l’éolien ou la biomasse qui sont soit inefficaces, soit au moins aussi néfastes pour notre planète.
D’autre part, l’auteur en conclut, et je résume de façon lapidaire, que sans un contrôle de la démographie, mais surtout sans un changement draconien de nos habitudes de consommation, nous ne pouvons envisager d’améliorer sensiblement l’état de notre environnement. C’est donc la question du caractère « écoresponsable » des produits que nous achetons (et que nous produisons) qui se pose, mais également de la nécessité même de leur acquisition.
Mike Mentzer, un ancien culturiste promoteur de méthode à haute intensité (Heavy Duty), disait en parlant d’entraînement : « Less is more », le moins est le plus, ou plus clairement « moins on en fait, mieux c’est ». Eh bien, c’est la philosophie de Jeff Gibbs en matière de consommation… aller vers le moins.
La crise du Covid, que nous venons de vivre, nous renverrait-elle, également, à de nouvelles responsabilités individuelles ? Y aura-t-il un avant et un après ?
Car sept semaines de quasi-enfermement, cela n’a rien d’anodin, et il est assez légitime d’être saisi par des doutes et des peurs face aux catastrophes sanitaires et économiques annoncées. Mais toutes ces émotions si elles ne nous permettent pas certaines prises de conscience auront été vaines. C’est donc, peut-être, le moment de revoir nos priorités, et par exemple, de constater combien la présence des autres nous manque.
Bien sûr, nous pensons tous prioritairement à notre famille et à nos amis.
Mais nos pratiquants ? Nos partenaires d’entraînement ? Y compris ces gens que l’on croise, parfois brièvement, qui sont presque des anonymes pour nous, avec qui on échange un « ça va ? » ou un sourire, ne nous manquent-ils pas également ? Car si le fitness sur les plateaux de musculation, et dans une moindre mesure dans les salles de cours, est quelque chose de relativement solitaire, nous constaterons tout de même que c’est beaucoup plus motivant lorsque nos séances sont partagées. Dans ces moments de pratique commune, toutes les différences semblent presque lissées et on ne retient, de cette cohabitation, qu’une forme d’alliance dans laquelle chacun est encouragé à donner le meilleur de lui-même.
Certains penseront que je fais preuve d’un excès de naïveté et que les guerres d’ego ne sont jamais très loin, c’est juste. Mais, dans ce retour à la vie, après plus d’un mois d’isolement, qu’avons-nous envie de retrouver vraiment ?
De l’empathie ou de la rivalité ? La chaleur d’un groupe, la présence d’un accueil souriant et d’un coach bienveillant, ou bien cette rangée de tripodes émetteurs de bip dans une salle à l’agencement clinique ?
Même notre rapport au corps a changé au cours de cette parenthèse. Car si le fitness est une merveilleuse discipline pour nous consolider, toutes les carapaces musculaires que nous revêtons ne suffisent pas à nous épargner des risques viraux. Nous faisons donc face à notre fragilité, mais également à notre ignorance à l’égard d’un péril dont nous ne connaissons rien.
Cette objectivation de notre vulnérabilité pourrait, paradoxalement, nous offrir une nouvelle liberté. En effet, cela remet en perspective l’importance, finalement toute relative, de la majorité des choses qui nous agitent. C’est, également, apprendre à « vivre » sa biologie, bien au-delà de sa stricte apparence corporelle et peut-être, réorienter notre enseignement dans son aspect prophylactique, ce qui, ne l’oublions pas, est le cœur de notre métier.
La crise sanitaire m’aura également permis de retrouver, en vidéo, plein de collègues et d’ex-étudiants que j’ai eu le bonheur de croiser ces dernières années… quelle richesse ! Des gens si généreux et empathiques qu’ils me réconcilieraient presque avec le fitness. Plaisanterie mise à part, je trouve que les professionnels ont donné avec un enthousiasme communicatif. Souvent, j’ai trouvé les contenus riches, chacun rivalisant de créativité, parfois beaucoup plus encore que dans les clubs. Comme si cette nouvelle liberté leur avait permis de retrouver toute leur singularité.
Ce moment, qui je l’espère demeurera une parenthèse exceptionnelle, nous aura donc ouverts, comme nos pratiquants, sur une réalité nouvelle, et aura réveillé certaines capacités et valeurs que nous portions sans le savoir. Dès lors, peut-on imaginer que notre pédagogie, nos choix et nos rapports aux autres changent sous l’impulsion de ces « nouveaux » clients ?
Si le documentaire Planet of the humans nous dit que changer nos habitudes de consommation est une voie indispensable à la survie de l’espèce humaine, le fitness pourrait lui faire écho. Car, s’il est la seule pratique physique qui a pour objectif d’améliorer la santé de ses pratiquants grâce au développement de leur condition physique, il est porté par un environnement marchand qui doit le servir, et non pas l’inverse.
Et dans le fitness, comme ailleurs que les clients commencent une nouvelle ère, faite de discernement, en rejoignant tous ces profs merveilleux qui donnent tant.
Accorderont-ils désormais leur confiance à ces professionnels généreux qui s’engagent dans le projet de la remise en forme ou bien reprendront-ils leurs vieilles habitudes, en allant vers le plus facile, le plus grand, le moins cher, le plus bling-bling, en continuant de nourrir ces machines sans âme… ? Et les professionnels que vous êtes, retrouveront-ils de la créativité, le sens du partage et la force du don, comme ils se sont souvent exprimés sur les réseaux, ou redeviendront-ils ces « animateurs » rivés sur leur podium, très loin de l’humanité qui leur fait face ?
Quand on voit les queues au drive du Mac Donald, nous pouvons rester dubitatifs, mais j’espère tout de même qu’après cette crise, puisse se développer un meilleur fitness, car si nous ne sommes pas responsables de l’une, nous serons les acteurs de l’autre.